Lourdement condamné avant d’être acquitté dans l’affaire d’Outreau, Dominique Wiel est « passé à autre chose »
12/07/2022
Longtemps, il a été « celui qui a chanté "La Marseillaise" dans le bureau du juge d’instruction ». Pour apparaître crédible, pour être écouté, il y a meilleure référence. Pourtant, il s’en est expliqué avec tout le bon sens qui caractérise encore aujourd’hui ce prêtre-ouvrier à la retraite.
PARU DANS LA VOIX DU NORD, le 24/02/2021, par Eric DUSSART
« Tout ce qui se passait était absurde. Et il n’y avait pas moyen de se faire entendre du juge, par rapport à ce que disait Myriam… Alors, j’ai trouvé une manière absurde de me faire entendre. »
Du fond de sa cellule, Dominique Wiel a vite compris que ce jeune juge aux pleins pouvoirs n’écouterait pas ses dénégations. Il en avait pourtant une preuve, en quelque sorte. Une lettre que lui avait envoyée Myriam Badaoui juste après sa propre arrestation, en janvier 2001.
Elle lui demande d’abord de prendre soin de son appartement, ouvert à tous les vents puisque les policiers avaient délicatement défoncé sa porte à six heures du matin, et même de relever son courrier. « Une vraie demande de voisinage », expliquait alors « le curé d’Outreau ».
Et quand on tournait la feuille, on y lisait la confession de sa voisine : « Eh oui, Dominique, tu vivais à côté de nous et tu ne t’es aperçu de rien… » Et elle lui raconte alors ce qu’est en vérité l’affaire d’Outreau. Un couple qui abuse de ses enfants. Un homme qui boit, une femme qui suit. Un autre couple, une fois ou deux, qui se joint à eux. « Une affaire comme on en voit tant d’autres », comme dit Fabienne Roy-Nansion.
Un atout maître
Envoie-t-on une lettre pareille à quelqu’un qu’on accusera quelques mois plus tard des pires sévices, en complicité ? Impossible de le croire, évidemment. « Mais le juge n’a pas voulu joindre cette lettre au dossier… » Pas terrible. Dominique Wiel et son avocate Me Blandine Lejeune décident alors de garder le document pour en faire un atout maître devant les jurés de la cour d’assises. Raté : le 2 juillet 2004, c’est lui, « le curé » qui est le plus lourdement condamné : sept ans pour ce que l’avocat général Gérald Lesigne a appelé « des viols furtifs ».
« J’étais KO. À mon retour à la prison, je suis resté trois jours allongé, incapable de me lever. » Il y eut donc une nouvelle épreuve, jusqu’à la cour d’assises de Paris, où il fut acquitté, comme tous les autres, en appel. Longtemps, il en a gardé une colère à fleur de peau. Jusqu’en 2015, même, quand il est venu témoigner au troisième procès de Daniel Legrand, à Rennes. Au président, qui lui demande ce qu’il a à dire sur « les faits dont la cour est saisie », il coupe : « Des faits ??? Parce que vous avez trouvé des faits ?… »
Tout était dit. Mais aujourd’hui, Dominique Wiel, 84 ans, est apaisé. « Je suis passé à autre chose », dit-il. Tout en précisant que cela ne signifie pas qu’il a oublié. Disons qu’il a une analyse apaisée : « Nous avons été victimes d’un mauvais conte d’enfants. Même Myriam, au fond, c’était une enfant. » Il ne veut plus trop parler du juge, ce qui en dit long, chez cet homme dont l’autre caractéristique principale est la bienveillance.
Après avoir milité auprès d’Attac, s’être engagé sur le terrain des exilés, à Calais, auprès du secours Catholique, il a aussi pris un peu de recul : « Je ne vais plus trop sur le terrain, mais je participe encore aux réunions. Et puis, j’héberge des gens. » Dans sa maison, à Calais, il a descendu son lit au rez-de-chaussée et laissé l’étage pour des hôtes de passages. « Des migrants, comme on dit. » Qui ne savent rien de son histoire et qui n’en sauront jamais rien. « Ils en ont bien assez de leurs souffrances… »