Bataclan: Franck, le bluesman de Vieux-Condé qui se dit «sur-vivant»
12/07/2022
Au deuxième jour des témoignages relatant l’attaque du Bataclan, au procès des attentats du 13 Novembre, un musicien « venu du Nord » a laissé une trace profonde, de sa volonté de reprendre vie, après le drame. Ces témoignages vont durer encore plus de trois semaines.
PARU DANS LA VOIX DU NORD, le 07/10/2021, par Eric DUSSART
C’est lourd. Très lourd. Les gens qui se succèdent à la barre vont tous mal, évidemment. Ils racontent leur drame. Ce couple qui a perdu son fils aîné, à vingt-neuf ans. Cet homme qui a vu sa compagne défigurée, « déjà morte », à ses côtés. Cet autre qui a dû rentrer chez lui pour annoncer à sa fille que sa maman ne reviendrait jamais… « C’est la chose la plus difficile que j’ai faite de ma vie. »
Et vient cette jeune femme solaire, aux yeux noirs magnifique et à la bouche cicatrisée en travers. « On m’a dit que j’étais une gueule cassée. Mais ils ont reconstruit mon visage. Au moins, j’ai de nouveau forme humaine. » Elle dit les dizaines d’opérations, « tous les trois mois », et ce que ça produit, parfois : « L’os de mon péroné qui joue aujourd’hui le rôle de mandibule est fracturé parce qu’il ne supporte pas son nouveau rôle. Je vais être opérée à nouveau. Ils vont me prendre cette fois un bout d’os du crâne. »
Le président suspend quelques instants, après ce témoignage exceptionnel, et en sortant de la salle, Me Blandine Lejeune, bouleversée, comme tout le monde, lâche : « Elle est revenue s’asseoir juste devant moi. J’avais envie de lui dire à quel point je la trouve belle… »
« On n’est pas prêts »
L’avocate lilloise est là pour assister Franck, l’un de ses clients, musicien à Vieux-Condé, qui s’avance à la barre alors qu’il est passé dix-neuf heures. La salle est emplie de malheur. Alors, le bluesman du Nord choisit de passer son message avec une pudeur extraordinaire. Il raconte vite fait la main de son pote sur son épaule, qui lui dit « barre-toi ». « J’ai pris mes jambes à mon cou. » Rapidement, donc, il se retrouve dehors, laissant derrière lui des gens qui criaient à l’aide… « Je suis rentré à nouveau. » Il ne dit rien d’autre de ce qu’il y a fait, de l’aide qu’il a apportée. C’est ça la pudeur.
Il passe à ce qu’il est aujourd’hui, à ce qu’il a fait depuis cette nuit-là. « On n’est pas prêts… » commence-t-il, lâchant qu’il est resté un mois et demi sans pouvoir prendre ses enfants dans ses bras. « Un mois et demi sans câlins. » Mais il y a la musique. Plus que jamais, plus qu’avant : « Je sortais d’un massacre qui visait nos valeurs, nos envies de nous amuser, alors c’est devenu un exutoire. » Il ne veut pas qu’on le considère comme une victime : « Je suis un sur-vivant. C’est-à-dire que je vis plus qu’avant. »
Sa voix forte et claire emplit la salle où plus rien ne bouge. Il y a de l’admiration, dans ce silence. « On peut avoir un genou à terre, c’est légitime. Mais nous avons le droit d’être heureux. Et ça, on ne nous l’enlèvera pas. Et il y aura toujours des gens qui s’en sortiront comme ça, comme moi, et c’est pour ça qu’ils ont perdu. » Il veut finir par un texte écrit par Philippe Djian, qui dit « Il n’est pas question que tu viennes t’asseoir à ma table ». Et aussi, alors qu’il se tourne vers le box : « Je te laisse ta place au paradis. Fais-en des confettis. »