Les avocats Frank Berton, Blandine Lejeune, Hervé Corbanesi, Julien Delarue, et Hubert Delarue, avocat honoraire, qui avaient défendu des acquittés dans le scandale judiciaire d'Outreau, alertent sur plusieurs recommandations de la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants, portant atteinte à la présomption d'innocence, selon eux.
PARU DANS MARIANNE, le 16/11/2021, Tribune collective
À l'approche du vingtième anniversaire du début de l'affaire d'Outreau, nous observons, après la publication du premier Avis de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants), étonnamment intitulé « À propos des mères en lutte », une remise en cause préoccupante de la prise de conscience et de la légitime prudence suscitées par ce séisme judiciaire. L'expert psychiatre Paul Bensussan et notre confrère Delphine Provence se sont exprimés avec justesse et sobriété dans les colonnes de Marianne. Ce qui valut, notamment à Paul Bensussan, des attaques d'une particulière virulence.
Les avocats de la défense estiment de leur devoir de réagir à cette mise en cause d'un expert reconnu comme de la vérité judiciaire, jamais acceptée par une frange d'irréductibles militants. Pour l'avoir fait citer devant la Cour d'assises d'appel, nous savons ce qu'a été l'apport de Paul Bensussan dans l'affaire d'Outreau et nous nous devions de répondre aux allégations de certains de ses pairs.
DEUX RECOMMANDATIONS POLÉMIQUES
Les recommandations de la CIIVISE ont au moins le mérite de la simplicité :
1. « Prévoir la suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant »
2. « Suspendre les poursuites pénales pour non-représentation d'enfants contre un parent lorsqu'une enquête est en cours contre l'autre parent pour violences sexuelles incestueuses »
3. Prévoir, dans la loi, le retrait systématique de l'autorité parentale en cas de condamnation d'un parent pour violences sexuelles incestueuses contre son enfant ».
Ce dernier point est sans conteste le moins polémique à nos yeux : d'une part du fait que le Code civil, en son article 378, prévoit déjà la déchéance de l'autorité parentale en cas de crime ou délit commis par un parent sur son enfant, qu'il soit auteur ou complice/d'autre part parce que la déchéance, symbolique celle-là, du parent auteur d'inceste n'est pas contestable. Pour autant, nous observerons qu'en proposant de rendre cette déchéance systématique, la CIIVISE prive la juridiction de la possibilité d'adapter la peine à la singularité de chaque situation.
La radicalité des deux autres recommandations nous paraît en revanche d'une extrême dangerosité. L'avis de la CIIVISE assène en effet qu'il importe « d'en finir avec le déni de la réalité des violences sexuelles faites aux enfants », n'hésitant pas à dénoncer « la totale surdité du service d'enquête sociale aux propos de l'enfant ». Le juge Édouard Durand, coprésident de cette commission « indépendante », n'hésitant pas à affirmer, dans une interview à l'Obs : « Il faut déconstruire le système qui génère l'impunité et aider les mères à protéger les enfants. »
En invitant à « croire » les enfants, quelle que soit la façon dont surgit la révélation, ou son contenu, et en entretenant la confusion entre « paroles d’enfants et paroles de mères », le magistrat, sans nul doute mu par la noblesse de la cause, remet en question non seulement les progrès récents dans l'analyse de la fiabilité d'un dévoilement (le terme de « crédibilité » avait été supprimé des questions posées aux experts à la suite du rapport rendu par la Commission d'enquête parlementaire « chargée d'étudier les dysfonctionnements dans l'affaire d'Outreau pour éviter leur renouvellement »), mais surtout le principe de la présomption d'innocence.
De même, proposer la suppression immédiate du droit de visite et d'hébergement du parent mis en cause, dédouaner sans discernement le parent accusateur du délit de non-représentation d'enfant, revient à lui donner le pouvoir inédit de punir sans intervention judiciaire, au nom du principe de précaution, ce qui revient à jeter le discrédit sur la capacité de discernement des magistrats.
Il s'agit à présent, explique l'avis de la CIIVISE, de protéger non seulement les enfants, mais les mères, trop souvent soupçonnées de les manipuler, qui se verraient sanctionnées par l'institution judiciaire pour avoir tenté de protéger leurs enfants, dont l'agresseur jouit d'une impunité. C'est la commission qui vous le dit…
Nous voilà revenus à l'avant Outreau… Si les propos des enfants peuvent être sincères et crédibles, cela n'implique pas la confusion systématique entre vérité psychologique (ce que chacun est persuadé d'avoir vécu) et vérité historique (ce qui s'est réellement passé). En évoquant la suggestibilité des victimes, Paul Bensussan n'a jamais parlé de mensonge enfantin dans l'affaire d'Outreau, pas plus d'ailleurs que dans ses publications. Il a d'abord dénoncé les excès et manquements des experts judiciaires, dont l'un a d'ailleurs depuis été radié, ne cessant de réécrire l'affaire… Il a, ensuite et surtout, rappelé la rigueur méthodologique qui devait prévaloir dans le recueil comme dans l'analyse de la parole de l'enfant.
Son ouvrage sur les fausses allégations d'abus sexuels dans le contexte de séparations parentales fut d’ailleurs préfacé par Andrée Ruffo, magistrate, présidente et fondatrice du Bureau international du droit des enfants, considérant qu'il était nécessaire, dans ce domaine comme dans tout autre, d'apprendre à distinguer le vrai du faux.
Considérer que la fausse allégation est si rare, presque virtuelle, que toute allégation doit être regardée comme vraie, est non seulement contraire aux lois d'une démocratie judiciaire, mais constitue aussi une dérive à laquelle aucun avocat ne saurait se rallier. De surcroît, ces recommandations viennent singulièrement remettre en question la capacité de discernement des magistrats.
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